Quelles sont les évolutions marquantes du métier d’infirmier.e.s libér.ales.aux ?
Claudine Gillant : Certaines évolutions sont loin d’être positives. Le métier d’infirmière libérale – et par voie de conséquence, le soin apporté aux patients- pâtit aujourd’hui beaucoup du manque d’autonomie de notre profession. Que ce soit en termes de prescription ou de suivi des maladies chroniques, il est difficile, voire impossible en l’état, d’utiliser pleinement nos compétences au service des patients, car ces dernières, si elles existent, ne sont pas valorisées et ont été oubliées par les pouvoirs publics.
La coordination avec les autres professionnels de santé manque également, que ce soit entre professionnels de santé de ville ou entre la ville et l’hôpital. Cela a un impact négatif sur notre exercice quotidien car cela nous bride dans la prise en charge de nos patients et peut provoquer des ruptures de prise en charge.
Mais en parallèle, et paradoxalement, on assiste également à la naissance d’ un mouvement en faveur de la reconnaissance du rôle infirmier.
Peggy Wihlidal : Ces derniers temps, les IPA sont considérées comme une avancée primordiale. Il s’agit pourtant d’une nouvelle profession qui recouvre des missions prévues dans un champ dérogatoire aux activités courantes des infirmières. Pour pouvoir prescrire dans ce contexte, médicaments, examens complémentaires, actes de suivi, renouvellements, les infirmiers devront accéder à un master en pratique avancée – quatre semestres à valider, des stages obligatoires ; par ailleurs, la question du coût des frais pédagogiques (aujourd’hui estimés à 5000 €) flèche de manière quasi-automatique la formation vers les salariés, laissant les libéraux sur le bord de la route, eux qui n’auront qu’un cinquième du tarif pris en charge par l’OPCA responsable.
Autant dire que ce dispositif ne peut remplacer l’essentiel des actes qui peuvent être pris en charge par les infirmiers : qu’il s’agisse d’une DSI ou d’une modification de prescription courante par exemple, tout est possible d’ores et déjà. L’essentiel reste donc à venir en tout état de cause.
Qu’attendez-vous des réformes en cours?
Claudine Gillant : L’enjeu est de taille. Il s’agit de mener un vrai travail sur l’optimisation des prises en soin de qualité. Cela ne pourra avoir lieu que si chaque activité et chaque interlocuteur retrouve sa juste place dans le système de santé : la ville pour les soins de premiers recours, l’hôpital pour les urgences vitales et la technicité. Evidemment, cela suppose de « remettre l’église au cœur du village », en permettant aux professionnels de santé de ville de jouer pleinement leur rôle dans le parcours du patient, et en encourageant l’évolution de leur métier. L’exercice pluriprofessionnel est la clé pour faire face aux problématiques actuelles du système de santé (accès aux soins, ruptures de prise en charge), c’est pourquoi la concertation pluriprofessionnelle doit être valorisée.
Peggy Wihlidal : Dans la situation de détresse absolue où se trouvent 10 millions de français pour lesquels l’accès aux soins est remis en question, toutes les forces en présence doivent être valorisées. L’hôpital seul (cf. lien vers notre tribune : l’hôpital ne fait pas la santé) ne peut plus répondre à l’ensemble des besoins ni les maisons de santé, ni non plus les téléconsultations dans d’aussi futuristes cabines qu’il puisse exister. Dans ce contexte, l’ensemble des compétences des professionnels de santé du soin primaire, au premier rang desquels les infirmiers libéraux doivent trouver une place de choix pour aller vers une réponse juste au besoin de santé des patients. Les équipes de soins primaires, le nouveau partage des compétences, une place renouvelée des entreprises et des collectivités sont autant de pistes qu’il faudra trouver, d’une manière ou d’une autre dans les politiques de santé à venir.
Y-a-t-il des difficultés particulières, rencontrées dans votre exercice quotidien, que vous aimeriez signaler?
Pour toutes les raisons précédemment citées, mais également du fait d’un manque de moyen, la prise en charge des patients poly-pathologiques devient un véritable défi pour les infirmières libérales. D’autant que notre nomenclature est obsolète et ne correspond plus à la réalité de notre exercice.
Et puis, même lorsque nous le souhaitons, exercer en pluriprofessionnalité, lorsqu’on est libérale, cela ne s’invente pas ! Nous manquons de formations à la prise en charge pluriprofessionnelle en ville.
A quoi ressembleront d’après-vous les infirmier.e.s libér.ales.aux de demain? Pensez-vous que les infirmier.e.s libér.ales.aux vont être amené.e.s à voir s’élargir le spectre de leurs responsabilités?
Claudine Gillant– Je pense qu’il sera indispensable de permettre aux infirmières libérales de s’épanouir pleinement dans leurs missions. Les infirmières de demain seront des professionnelles mieux formées à l’exercice pluridisciplinaire en ville. Non seulement leur exercice tiendra entièrement compte de leurs vastes compétences, leur permettant d’exercer en meilleure autonomie dans le domaine de la prescription, du suivi des pathologies chroniques etc, mais elles auront aussi une vision élargie de la santé publique, une meilleure connaissance des enjeux de prévention et d’éducation à la santé.
Peggy Wihlidal – Les infirmiers libéraux sont, avec les pharmaciens, les sages-femmes, les biologistes et les kinés, les professionnels de santé clés de nos besoins de santé primaires. Les responsabilités de chacun d’aujourd’hui vont devoir commencer par être reconnues, valorisées puis élargies demain. Chacun peut faire mieux dans un système au service du patient, organisé et régulé, plus juste et efficient pour demain.
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